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ELENI VELENTZA*
Surveillance, Contrôle et la poésie des concepts: ​Entre l’inatteignable et l’inobtenable
|
Surveillance, control and the poetry of concepts: Between the unattainable and the unobtainable (in French)

PDF
DOI: http://doi.org/10.5281/zenodo.4678437
* Doctorante à l’École de criminologie
Centre de recherche interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité (CRID&P)
Université catholique de Louvain (Belgique)
Bourses FRESH 2014 du Fonds National pour la Recherche Scientifique (FNRS)


Introduction

La naissance de l’idée pour le Séminaire Surveillance, Contrôle : (Dé)mystification des concepts est due à une volonté de notre part de distinguer – ou plus correctement – de chercher les possibilités de distinction concernant les concepts de Surveillance et de Contrôle. Ainsi, dans le titre même de notre séminaire, nous dirions qu’il se cache plutôt un questionnement et non pas une thèse quelconque, et ceci dans l’espérance de laisser le débat autant ouvert que possible. Pourtant, je suis en mesure de savoir que plusieurs approches vont être présentées pendant cette première session concernant cette distanciation conceptuelle qui nous a réunis ce soir ici, à l’Université catholique de Louvain.

Premièrement, j’aimerais m’arrêter à cet intérêt particulier pour les concepts qui est témoigné par ce séminaire en soi. Pourquoi donc cet intérêt ? Eh bien, parce que nous avons l’impression qu’un concept représente (et exprime) cette « rencontre » entre la théorie et l’empirie, une rencontre qui nous préoccupe beaucoup en tant que chercheurs et qui joue un rôle majeur pour la méthodologie que chacun utilise pour la réalisation de ses projets de recherche. Mais, en même temps, il s’agit d’une rencontre vers laquelle on ne se penche pas si souvent – et encore moins – de ce point de vue particulier, le point de vue des concepts. Je pense, par conséquent, que ce séminaire peut se présenter comme une occasion parfaite pour une démarche comme celle-ci.

Avant de procéder, il me parait pertinent de préciser que quand nous parlons de concepts de façon général dans le cadre de ce séminaire, nous parlons majoritairement pour les trois cas suivants : (i) la création des concepts ex nihilo, c’est-à-dire la création d’un mot tout nouveau qui se crée en formant un concept, (ii) la création des concepts à travers des ré-conceptualisations éventuelles, ré-conceptualisations qui se font majoritairement à partir des concepts déjà existants dans le monde de la théorie, et (iii) la mise en concepts, que nous sommes si souvent amenés à effectuer quand nous nous trouvons devant nos données empiriques et dans l’immense terrain théorique que concerne chacun de nous dans sa propre recherche.
Questionnement

En ce point, j’aimerais faire une brève allusion à mon propre arrière-fond de recherche à partir duquel je me suis lancée à la découverte et l’éclaircissement conceptuelle de cette distance entre Surveillance & Contrôle. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, je travaille sur la surveillance électronique des justiciables tant empiriquement (ayant effectué des observations ethnographiques et des entretiens sur le travail des agents de Monitoring à Bruxelles et en Grèce) que théoriquement en me mettant en contact avec l’univers conceptuel du domaine de la théorie de surveillance studies. La particularité de mon approche est qu’elle ne se veut pas traditionnellement pénologique, et ceci à cause du fait que la surveillance électronique y est problématisée non pas comme une peine, mais comme une activité mise en œuvre par des acteurs humains, qui, dans notre cas, sont les agents de Monitoring qui surveillent électroniquement les justiciables.

En commençant de travailler sur cette présentation, je me suis rendue compte de deux choses qui sont, à mon avis, assez importantes pour l’approche et l’élaboration des concepts qui nous concernent:

  • Qu’il me paraissait tout à fait faisable de parler à propos de la surveillance électronique des justiciables comme surveillance, c'est-à-dire comme activité de surveillance, en faisant abstraction de sa dimension pénologique, ce qui est d’ailleurs le point de vue de ma propre problématique de thèse
  • Mais qu’en même temps, ce n’était pas si facile d’imaginer une problématisation de la surveillance électronique des justiciables comme activité de surveillance (tout court).
  • Ceci dit, je peux faire abstraction de sa dimension pénologique, mais je ne peux pas faire abstraction de sa dimension technologique (électronique).

Il me parait nécessaire de vous parler dès maintenant de cette perturbation dont je me suis rendue compte très vite dans mon travail pour cette présentation, parce qu’un grand nombre des exemples que je vais utiliser incluent la présence et le rôle des moyens technologiques qui rendent possible la surveillance électronique des justiciables. La constatation de cette difficulté m’a posé problème dès le début dans la mesure où je me demandais s’il m’était permis (ou pas vraiment) – à partir de mon propre expérience de recherche et mes données empiriques (très concrets) – monter à la généralité du concept de surveillance, et dire quelque chose de valable pour la surveillance tout court. Pourquoi ce questionnement m’a-t-il instantanément déstabilisé? Parce que j’ai ainsi commencé à me demander s’il y a vraiment une rupture entre le concept de surveillance et la surveillance électronique (et donc tehcnologique), rupture qui ne me permettrait pas de monter à la généralité du concept?

Toujours dans la ligne de ce même questionnement, il sera intéressant de dire ici qu’un de points de critique qui ont été adressés à Michel Foucault fut le fait qu’il n’a pas prise en compte dans son œuvre le progrès technologique et le rôle davantage majeur qui occupait la technologie dans la pratique de surveillance déjà depuis la fin des années 1970. Cette critique laissait entendre qu’une rupture existait entre ce que surveillance signifiait avant et après l’avènement de la technologie. Mais, en discutant et en échangeant des idées avec Iason Koutoufaris-Malandrinos dans le cadre de notre préparation pour le séminaire, une idée très juste est apparue de sa part: que s’il y a vraiment une rupture intrinsèque au concept de la surveillance (ce qui est encore à être examiné et prouvé), c’est non pas à partir du moment où la technologie intervient en matière de surveillance, mais plutôt à partir du moment où la non-visibilité du surveillant par le surveillé devient possible (comme c’est le cas aussi, par exemple, dans le cas du Panopticon benthamien)1.

Pour le moment, et en ce point de la présentation, ce que je garde de ces questionnements est la constatation que presque intuitivement, dans un premier temps, je me suis sentie que c’est sans doute impossible conceptuellement de parler de la surveillance ou du contrôle tout courts comme concepts dits universels.

Étymologie
Verbe
Étymologie
*
observer avec soin, attentivement,
épier.
(Joseph-Théophile de Mourcin de Meymi Lanaugarie, 1834)

Surveiller
Surveer, sourver : verbe, de formation anglo normande, pour sourveoir.
(Dictionnaire Goefroy,1881)
*

Surveer: veer, *vidare, sur, surveiller sur+veer vidarejeter les yeux sur surveiller
(Van Daele,1901)
Contrôler

Contreroller : enregistrer sur un rôle, vérifier, examiner

Concernant l’étymologie de surveiller, j’aimerais m’arrêter sur deux éléments en plus précisément au lien de surveiller avec le verbe « épier » ainsi qu’avec la phrase « jeter les yeux sur ». Epier signifie : observer secrètement quelqu’un. Par extension, observer attentivement, essayer de découvrir, se sentir prêt à saisir l’occasion de faire quelque chose, à profiter du moment favorable. Ce verbe, avec la phrase « jeter les yeux sur » dont la signification et évidente, m’ont donné l’impression d’une contraste. Le verbe « épier » me donne l’impression d’une proximité nécessaire. Alors que la phrase « jeter les yeux sur » – sans doute à cause du verbe jeter – me donne plutôt l’impression d’une distance nécessaire. Je garde donc comme un tout premier constat que la surveillance dispose en elle une qualité binaire exprimé par le couple proximité-distance.
Tandis que le Contrôle me donne plutôt l’impression, et celle-ci est tellement personnelle, de la nécessité d’une proximité constante pendant le temps que ceci est en train de se passer. Comme s’il s’agissait d’un « moment de confrontation », la confrontation au rôle.

Surveillance & Contrôle

Ma première partie est consacrée à une opération de distinction concernant surveillance et contrôle. David Lyon donne une définition très intéressante pour le concept de surveillance: “Surveillance is understood as any focused attention to personal details for the purposes of influence, management, control, entitlement or protection.” Cette définition opère une distinction -un démêlage qu’on ne rencontre pas souvent- entre les concepts de surveillance et de contrôle. David Lyon décrit la relation entre surveillance et contrôle comme une relation entre un moyen et un but (ou un objectif). Même si dans ma propre approche concernant les deux concepts cette relation n’est pas décrite de la même façon, je commence quand même par cette définition parce qu’il s’agit d’un de cas très rares où on voit surveillance et contrôle conceptuellement démêlés. Du coté de contrôle, cette relation moyen-objectif n’est pas répandue pour ceux qui ne voient contrôle que comme étant une fin en soi :“You see control can never be a means to any practical end…it can never be a means to anything but more control…like junk.”2
Dans un article de David Lyon datant de 2007 apparait un terme extrêmement intéressant, ‘surveillant control’3: “If Foucault sees surveillance as the fostering of self-discipline in enclosed spaces […] most recently Gilles Deleuze suggested that with computers, cybernetic control or digital rule is more likely. In this case surveillance does not even aim to produce better citizens or workers through ‘soul-training’, it works simply through electronic protocols to admit entry or deny access. No PIN? No internet banking. […] Too much to drink ? The car key breathalyser prevents motor ignition. Subtly, the notion of moral wrongdoing is evacuated as surveillant controls take over. Here Bentham’s utilitarian morality turns into a mere probability calculus.”
Mike Nellis, nous dit: “Surveillant control, of course, while not instrinsically punitive, is not an ethically or politically neutral capacity. The even-more meticulous forms of regulation associated with managerialism ( ) can lead in extremis to regimented and centralised forms of social order that are every beat as repressive as those associated with ‘punitive excess’, more so, perhaps, in that they encompass all citizens, not just the specific category of offender.”4 Je crois que cette évacuation de la notion du mal faire moral via ce control surveillant exercé par les nouvelles technologies, auquel Lyon fait allusion, concerne uniquement le dispositif technologique en tant que tel, ce facteur non-humain, cet actant que dirait Bruno Latour. Pourtant, les choses se complexifient un peu dès que l’acteur humain fait son apparition dans le processus de ce contrôle. J’aimerais insister sur cette argumentation concernant l’existence (ou pas) des objectifs moraux dans l’exercice de ce contrôle surveillant en faisant allusion, à mon tour, à ma propre expérience d’observation à la suite.
Les points de distanciation conceptuelle entre surveillance et contrôle que j’ai pu repérer sont les suivants :

1. Interaction

La surveillance est caractérisée par une non-interaction. Surveillance, nous pouvons aussi bien appeler ce que fait un écran, sans aucun surveillant derrière elle, un écran sur laquelle des alarmes apparaissent sans que personne ne les voie, une caméra qui capte ce qui se passe sur un trottoir, mais aussi un professeur qui surveille sa classe pendant un examen ou un agent qui traite ses alarmes.
Par contre, le contrôle est interactif par excellence (ceci ne veut pas dire que chaque acte d’interaction entre agent et justiciable, entre surveillant et surveillée constitue nécessairement un acte de contrôle). Pour qu’il y ait contrôle, il faut qu’il y ait, obligatoirement, une interpellation. En plus, il faut aussi que le contrôleur vienne avec une volonté -parfois urgente- d’avoir ou de maitriser une « vérité ». Cette vérité a un sens particulier pour ce qui va se passer ensuite, pour le déroulement du processus après le moment du contrôle. Il y a une phrase dans le livre (édité par Lyon) “Theorizing Surveillance” qui dit qu’en matière de la surveillance avec les moyens technologiques d’aujourd’hui le « réel » est doté d’une constructedeness5 (comme par exemple quand on parle du temps à « real-time surveillance »). Si en matière de surveillance c’est la notion de « réel » qui est doté de constructedeness, eh bien, en matière de contrôle c’est le « vrai » qui y est en cause.

2. Temporalité

Nous dirions qu’alors que surveillance constitue un continuum, contrôle constitue plutôt un momentum. Je me suis mise à voir un peu plus profondément la qualité et les caractéristiques de ces deux temporalités.
Ce qui est prépondérant à ce continuum de surveillance dont je parle ici, je dirais que c’est la façon dont la notion du présent l’habite, le présent en tant que tel mais aussi, la durée de ce présent. “What of the present then? What lurks there is vividness, used by Frederic Jameson to describe the depthless, perpetual present of the postmodern moment that isolates the signifier, rendering it more literal and more vivid, yet disconnected from the other signifiers that give it an identity.”6 Il s’agit d’un « présent perpétuel » et c’est pour cette raison que j’ai décidé d’utiliser cet extrait. Je pense bien que l’adjectif perpétuel exprime éloquemment la qualité de la durée du présent de surveillance électronique en tant que continuum. (exemple illustratif : les shifts des agents de Montioring au centre de surveillance qui se succèdent 24heures sur 24, mais aussi le fait qu’on se base sur un logiciel et des ordinateurs qui ne s’éteignent jamais)
Par contre, le contrôle est un momentum. Quand cette volonté d’intervention « si nécessaire » « coupe » le continuum de surveillance, le contrôle se passe. Le contrôle est un momentum qui peut bien sûr durer plusieurs moments et il aura la durée qui aura l’interaction controleur-controlé. Il se caractérise donc par une finitude.

3. Confiance/Méfiance

Alors qu’aux moments de contrôle c’est plutôt la suspicion et un climat de méfiance qui font la règle, puisque ce qui est majoritairement en jeu c’est la recherche de la vérité, c’est plutôt le contraire quant au processus de la surveillance. Courant l’activité de surveillance, comme nous avons eu l’occasion d’observer empiriquement dans une salle de Monitoring, il y a une (étrange?) impression d’une confiance – due à la gestion technologique des choses mais non pas seulement – que tout ira bien. Est-ce simplement une confiance aux moyens technologiques? Ou est-ce plutôt un reflet du fait que le processus de surveillance constitue une routine pour ses acteurs, dans la mesure où c’est l’activité routinière de leur travail ? En même temps, le processus de surveillance est destiné à surveiller étroitement une routine, la routine de la vie des détenus chez eux. Cette « confiance » me semble qu’elle est assez visible dans les exemples qui suivent :

Alarme : ‘Left during curfew’
A cause de l’alarme, un agent de Monitoring me dit qu’il va lancer un processus en utilisant son logiciel de surveillance pour voir si le justiciable est déjà rentré ou pas avant les 15min où l’absence (si elle est unique) est tolerée . L’Upload est fait et l’agent tourne vers moi et me dit : « Tu vois? Il est revenu après 6min. Mais il ne faut pas clôturer l’alarme encore, pour voir s’il va repartir…maintenant c’est bon, c’est bricolé. »

Alarme : ‘Receiver missed call’
Quand cette alarme apparait, cela veut dire que le box (la base qui est fixée au domicile de justiciable pour recevoir le signal de son bracelet) ne peut plus communiquer et envoyer à la salle de Monitoring ni des informations, ni des alarmes. Dans ce cas, un agent me dit que ce qu’ils font c’est d’attendre 24 heures, et si dans les 24 heures le problème n’est pas rétabli tout seul, ils prévoient une intervention technique. Par ailleurs, il me dit, qu’ils ne vont même pas téléphoner au justiciable parce qu’il ne peut pas savoir qu’il n’est pas surveillé. Alors ils le laissent croire qu’il est surveillé.

4. Donneité et Vérité

La donnéité des datas et des informations produites et transmises par les moyens technologiques qui jouent un rôle extrêmement important dans un processus de surveillance, crée un climat de confiance à ce qui est produit technologiquement et contre lequel peu de choses peuvent être faites pour le contredire. Je nomme donnéité un certain air de vérité donnée avec lequel viennent les informations qui sont produites par des moyens technologiques. La donnéité est considérée comme quelque chose qui ne peut pas être mise en question. La donnéité peut être aussi considérée comme le point de départ de la surveillance électronique des justiciables comme la plus grande partie des informations reçues par les justiciables surveillés, arrivent au centre de Monitoring à travers la technologie de surveillance.
Par contre, je ne suis pas du tout sûre que cette donnéité puisse être considérée comme une de fins de surveillance. C’est parce qu’il me semble que la surveillance ne vise rien à particulier. Elle pourrait être décrite comme un processus sans fin claire. Je ne pourrais même pas dire que la surveillance électronique a comme fin le contrôle. C’est plutôt dans une logique fonctionnelle que je pourrais parler à propos des fins possibles de la surveillance électronique. C’est, d’ailleurs la raison, pour laquelle la traduction de la relation entre surveillance et contrôle comme une relation d’un moyen destiné à satisfaire une fin (comme Lyon le décrivait dans sa définition) me semble un peu problématique. Alors que le contrôle vise clairement quelque chose, et cette ‘chose’ n’est d’autre que la vérité :

Exemple – contrôle et vérité (4h00 du matin)

L’agent que j’observe appelle un justiciable parce qu’il ne capte pas son signal pendant 20min. Le justiciable lui répond au téléphone et lui dit qu’il n’a pas bougé de son lit. L’agent lui répond: « OK, je note ». Mais il a à peine décroché et il me dit « Sa voix était la voix d’une personne bien réveillée. Et comme quoi je viens d’avoir le ‘Return’ juste après mon appel.» (Pendant que l’agent appelait le justiciable, ce dernier est rentré et le ‘Return’ est apparu sur l’écran des alarmes. Même si l’agent connait la vérité (que le justiciable était, en effet, absent), il me dit : « Mais, bon…» Il laisse entendre qu’il ne va pas noter ceci comme une info disciplinaire.

De ce dernier exemple, nous pouvons garder aussi ce même si le contrôle vise la vérité, ce qu’on fait avec cette vérité, il dépend d’une série de choses et de conditions différentes et parfois très compliquées.

5. Vérifier et Maitriser

La surveillance ne vise pas la vérification, elle est conduite vers elle. On dirait que c’est en quelque sorte la vérification qui prend la surveillance « par la main » en l’amenant jusqu’à un acte de contrôle. Au début j’ai vu la vérification comme la passerelle entre Surveillance & Contrôle. Puis, je me suis plutôt partie pour l’idée que « oui » la vérification unit Surveillance & Contrôle mais pas comme un simple point d’union. La « vérification » est finalement « la musique », l’horizon dans lequel Surveillance & Contrôle sont fusionnés tout en étant différents de lui.

La vérification comme « la musique » au fond

C’est à travers des processus de vérification que se crée – se construit – une « vérité ». On pourrait même dire, si on va plus loin, que ces mêmes processus constituent un pré-contrôle qui se joue pour le justiciable sans le justiciable : la plus part de fois un agent de Monitoring vérifie des informations en s’adressant à ces collègues ou en ayant appui aux autres informations que le logiciel et le système informatique lui offrent. Le processus vérificatif prend donc le plus souvent la forme : agent-agent, agent-système ou même système-système. La vérification n’appartient ni à la surveillance ni au contrôle mais concerne tous les deux et elle se trouve étroitement aussi liée avec la donnéité dont sont dotés les datas technologiques.

Mais, ou est-ce que se situe conceptuellement cette vérification?


La vérification comme « modulation »

Gilles Deleuze écrit en 1990 dans son Post-scriptum sur les sociétés de contrôle :

« Les enfermements sont des moules, des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-déformant qui changerait continûment, d’un instant à l’autre, ou comme un tamis dont les mailles changeraient d’un point à un autre. »7

Avant de procéder regardons ensemble deux exemples de l’empirie de notre observation :

Exemple n°1 : agent de Monitoring (L) dans un appel avec un justiciable

Lars: « Nous, ce qu’on voit c’est que de 12h30 jusqu’à 14h00 vous étiez absent. Ce n’était pas un problème technique. Qu’est-ce que vous faisiez? »
-le justiciable dit quelque chose que je n’entends pas-
Lars: « Là, vous commencez à dire la vérité. […] il y a deux minutes vous me disiez que c’était un problème technique. Là vous dites que vous étiez dans la voiture devant la porte, OK, alors maintenant: vous avez passé deux minutes devant la porte, et le reste du temps?»
-réponse du justiciable-
Lars: « Mais devant la porte? Vous n’aviez rien à faire devant la porte. De 12h30 à 2h00? […] La règle dit que la SE est à l’intérieur. Qu’est-ce que vous faisiez devant la porte? […] La moindre petite absence, je vais pas vous rater. »
-fin de l’appel-
Un autre agent: « C’était qui? »
Lars: « Peu importe ce qui c’est. C’est le numéro 10987. C’est un numéro, en tout cas. »


Exemple n°2 : un agent de Monitoiring vient raccrocher un appel avec un justiciable. Une de ses collègues (Sophie) lui pose une question :

Sophie: « C’était qui? »
Agent: « Monsieur, x »
Sophie: « Ah, monsieur x avec ses perroquets! »
Agent: « Il a des perroquets? »
Sophie: « Oui, il a deux perroquets! »

---l’agente se met une fois de plus sur son écran---

Moi: « Et comment vous le connaissez?»
Sophie : « C’est parce qu’on a mis des caméras chez lui! (rires) C’est D de l’équipe mobile qui est allé faire le placement et il nous l’a dit. »


La juxtaposition de ces deux exemples ici est susceptible de témoigner et de révéler quelque chose de l’existence de ce que Deleuze appelle modulation du contrôle dans une ère où n’a pas pourtant encore franchi le seuil de la société du contrôle telle que Gilles Deleuze l’a décrite dans son Post-scriptum. Une modulation entre le numérique, - ou pour mieux dire l’évocation du numérique - et de l’autre côté : de l’humain. Je veux bien noter ici que quand nous parlons de l’humain, cela n’a rien à voir avec l’idée de l’humanisme, mais cela se réfère à l’existence ou la persistance du facteur humain dans des processus hybrides de contrôle.

D’un côté (exemple n°1) nous avons un contrôle d’une attitude froide par l’agent, et de l’autre coté (exemple n°2) nous avons une réaction de l’agente qui témoigne d’un vrai lien émotionnel entre elle et « l’autre côté de la ligne téléphonique ». D’ailleurs, la perception à travers la visualisation de l’espace privé du justiciable (qu’elle connait par des récits du groupe technique qui effectue les installations du matériel) montre à quel point ce lien est elaboré par elle. Concernant la visualisation :

« The modern era, it is often alleged, has been dominated by the sense of sight in a way that set it apart from its pre-modern predecessors and possibly its postmodern successor. Beginning from the Renaissance and the scientific revolution, modernity has been normally considered as ocularcentric.”8

Les représentations des agents, leur perception du non-visible ainsi que sa visalisation nous permet à penser que tant que la visualisation prédomine, ou si nous osons un peu le lyrisme : tant que les perroquets seront visibles…Gilles Deleuze ne pourra pas être considéré comme prophète.


La poésie des concepts

Quand il s’agit des concepts et de leur création, notre esprit se trouve dans une situation de garder « un équilibre » entre deux mouvements qui doivent, à mon avis, se succéder dans le temps de la création ou de la conceptualisation. Ces deux mouvements concernent :

L’inatteignable. Il faut « tendre » (mais non seulement tendre!) mais vraiment nous étirer vers la conquête du sens exacte, du cens absolu, on dirait, qu’on avait imaginé pour notre concept pour pouvoir le créer de la façon la plus appropriée, juste et fidèle à l’idée qui a procurée et qui a mis en mouvement le processus de sa création. L’inatteignable a à voir avec la distance qui nous sépare, si vous voulez, de l’Idée au sens platonicien du terme.

et

L’inobtenable. À partir d’un moment, il nous faudra « une retraite » et une acceptation, il nous faudra un renoncement exprimé par une acceptation de la part de notre esprit que nous ne pouvons pas atteindre l’inatteignable. Mais qu’on peut créer le concevable, et par conséquent, le « conceptualisable ». Cette qui est la condition à mon avis pour le passage à l’acte de création d’un concept.
BIBLIOGRAPHIE
BORROUGHS W., “The Naked Lunch”, cité in S. COHEN, Visions of Social Control, Crime, Punishment and Classification, Cambridge, Polity Press, 1985.
DELEUZE G., « Post-scriptum sur les sociétés du contrôle », L’Autre journal, N°1, mai 1990.
GENOSKO G. et THOMSON S., “Tense theory: the temporalities of surveillance”, in D. LYON (ed.), Theorizing Surveillance, The Panopticon and Beyond, Oxon, Routledge, 2006, pp. 123-138.
LYON D., “Watching Brief”, Third Way, Winter 2007.
NELLIS M., BEYENS K. and KAMINSKI D., “Making sense of electronic monitoring”, in Electronically Monitored Punishment, International and critical perspectives, Oxon, Routledge, 2013
MARTIN J., “Scopic regimes of Modernity”, Vision and Visuality, Bay Press, 1988, pp, 3-23.
NOTES
1 Un même type de questionnement est concernant le concept du contrôle quand j’ai lu que par exemple control (nord-américain) n’a pas le même contenu conceptuel que contrôle (français)
2W. BORROUGHS, “The Naked Lunch”, cité in S. COHEN, Visions of Social Control, Crime, Punishment and Classification, Cambridge, Polity Press, 1985.
3 D. LYON, “Watching Brief”, Third Way, Winter 2007.
4 M. NELLIS, K. BEYENS and D. KAMINSKI, “Making sense of electronic monitoring”, in Electronically Monitored Punishment, International and critical perspectives, Oxon, Routledge, 2013, p.4.
5 G. GENOSKO et S. THOMSON, “Tense theory: the temporalities of surveillance”, in D. LYON (ed.), Theorizing Surveillance, The Panopticon and Beyond, Oxon, Routledge, 2006, p.128.
6 G. GENOSKO et S. THOMSON, “Tense theory: the temporalities of surveillance”, in D. LYON (ed.), Theorizing Surveillance, The Panopticon and Beyond, Oxon, Routledge, 2006, pp. 123-138.
7 G. DELEUZE., « Post-scriptum sur les sociétés du contrôle », L’Autre journal, N°1, mai 1990.
8 J. MARTIN, “Scopic regimes of Modernity”, Vision and Visuality, Bay Press, 1988, pp, 3-23.
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